Le bateau-usine, par Kobayashi Takiji

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Œuvre poétique d’une grande violence, cet opuscule de 160 pages est une étonnante découverte   écrite par un japonais méconnu il y a près d’un siècle et qui eut un fort retentissement médiatique lors de la crise de 2008 au Japon.
 

Kobayashi Takiji appartient à une génération d’artistes et d’écrivains, fascinés par la révolution russe, combattants de la gauche naissante des années 1920, promoteurs d’un “réalisme prolétarien“ en littérature, et réprimés par un état totalitaire. Kobayashi est ainsi mort sous la torture de la police politique japonaise en 1933, à l’âge de 29 ans. Il jouit alors d’une reconnaissance nationale et internationale, malgré la censure de ses oeuvres. Son œuvre réapparut au moment de la crise économique et politique de 2008 au Japon, quand se manifestèrent avec violence la précarisation de l’emploi et la paupérisation des salariés.
Ce roman s’est inspiré de faits réels, mauvais traitements et châtiments corporels subis par les ouvriers et les pêcheurs embauchés sur des « bateaux-usines », prises de guerre effectuées lors du conflit russo-japonais (1904-1905), partant au nord vers les îles Kouriles pour pêcher le crabe - produit de luxe destiné à l’exportation. Faits réels également, la tempête au cours de laquelle un de ces bateaux a sombré sans qu’un autre dûment prévenu ne se détourne pour porter secours à son équipage, cela au nom de la rentabilité exigée par les patrons-profiteurs de cette pêche, restés sur terre eux, ou au nom de la concurrence entre navires. Faits réels enfin, la révolte des pêcheurs et des ouvriers devant leurs atroces conditions de travail, mouvement initié par quelques agitateurs, notamment des étudiants, qui clamaient que la lutte, pour être victorieuse, devait être résolument collective.
Ce roman, conçu librement à partir de ces évènements, est une magnifique illustration des conditions de vie des plus miséreux des Japonais du Nord, paysans, ouvriers précaires, étudiants désargentés, sur terre et sur ces bateaux-usine sur lesquels leur situation les contraignait à se faire embaucher. Ils étaient 300 ou 400, entassés dans ce qu’ils appelaient le “merdier“ où ils côtoyaient vermine, déjections, luttant contre la saleté et les odeurs, mais surtout le froid et les tempêtes. Dans la crasse de leurs vêtements inchangés, ils travaillaient sans cesse sous les ordres et le bâton d’un intendant particulièrement sadique. Leur haine, parfois bien fruste et leur mépris pour un homme symbolisant un système atrocement injuste, n’avaient alors plus qu’à se cristalliser pour se transformer en révolte.
L’écriture est poétique, fondée sur de multiples comparaisons imagées, qui renforcent la violence des éléments naturels, le froid polaire, la mer démontée, la vétusté du bateau ou la dureté des rapports humains.
Un livre impressionnant, qui appelle une meilleure connaissance de la réalité japonaise des années 20-30.

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