Eugénie Grandet, par Honoré de Balzac

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Balzac serait-il trop grand, n’appartiendrait-il qu’à des critiques professionnels, dûment estampillés, universitaires ou académiciens, pour que n’importe qui ose apporter son analyse et s’improvise contempteur ou élogieux, voire exégète d’une œuvre ? Surtout quand tout a déjà été dit sur cette œuvre ! On pourrait tout de même le penser !

Eugénie Grandet, c’est Saumur, province étriquée au début du XIXe siècle, où l’activité la plus flamboyante semble être de faire des parties de loto ou de whist le soir entre voisins, où existent des clans familiaux, les Cruchot et les Des Grassins, qui guettent la bonne affaire ou le beau mariage pour s’enrichir, où l’argent est un qualificatif vertueux même quand il est issu de spéculations véreuses - spécificité balzacienne - où l’on peut se contenter de ne sortir de chez soi que pour aller à la messe.
Le Père Grandet, ancien tonnelier, propriétaire de terrains, maisons, vignes et magot personnel, est un spéculateur malin et un vieil avare qui économise les bougies, le sucre, le chauffage, et sous-paye son personnel, tout en étant richissime et passant du temps à caresser son or. Son épouse est une femme effacée, qui lui est entièrement soumise. Sa fille Eugénie est une jeune personne candide et généreuse, qui aime sa mère, respecte son père et accepte d’être cloîtrée dans la demeure familiale plutôt sinistre.
La peinture par Balzac de ce monde provincial - où silences, dissimulations, simagrées, petits mystères et duplicités éminentes règnent - fait de ce roman une œuvre réaliste mais qui tient souvent de la comédie, quand l’auteur ne se perd pas dans la caricature.
Tout semble laid, petit, plat dans sa description de la province, la demeure des Grandet est vieille, triste, le soleil n’y pénètre pas, les murs, les meubles, les décorations, l’escalier, tout est suranné, terne, couvert de chiures de mouches, branlant ; Grandet, son épouse, Nanon la servante, les Cruchot, les Des Grassins, aucun n’inspire la moindre considération par son physique, son allure, sa prestance, même Eugénie a une beauté quelconque, qui abrite cependant une âme sublime, d’une grande pureté, d’une forte générosité, d’une fidélité à toute épreuve ; seul le cousin Charles, le parisien, le “mignon“ comme dit Nanon, brille par sa beauté, son élégance, ses manières. Mais lui aussi, son âme du moins, sombrera dans le sordide quand il se fera négrier ou se mariera pour avoir un titre et des biens.
Le cœur d’Eugénie, qui semble éteint quand se manifestent de pâles prétendants à sa main (et sa fortune), s’allume pour Charles, son cousin de Paris qui fait un soir irruption à Saumur parce que son père l’y envoie, en réalité parce que ce dernier, endetté, ruiné, décide de se suicider pour éviter le déshonneur. Eugénie est donc amoureuse et - sacrifice d’ordre religieux  d’une sainte ou résignation sublimée d’une future vieille fille ? - se donne entièrement à cet amour chaste et sans lendemain, du moins qui nous apparaît ainsi, vu le départ de Charles pour les Indes et son silence pendant huit ans. Charles qui avait juré de ne pas oublier sa cousine.
Drame réaliste, comédie de mœurs, peinture magistrale provinciale, mais aussi esquisse des façons parisiennes, œuvre de forte densité psychologique, telle est Eugénie Grandet, quand on met de côté les petits défauts, contradictions, exagérations, boursouflures balzaciennes.

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