Dans l'œil du démon, par Jun'ichirô Tanizaki
Ce petit roman ou cette grosse nouvelle est un inédit en France, très récemment traduit, soit cent ans après sa parution. C’est un récit étrange, une histoire vénéneuse qui trempe dans la sexualité, l’esthétisme, l’illusion, s’inspirant ouvertement d’Edgar Poe.
Sonomura, riche, oisif, est atteint de troubles mentaux, mal définis, mais qui requièrent la vigilance et la protection du narrateur, son ami, écrivain par ailleurs. Ce dernier reçoit un jour un appel de Sonomura qui lui annonce qu’un meurtre va être commis cette nuit, et veut que son ami l’accompagne. Il lui explique qu’il a en sa possession un bout de papier avec des chiffres et des sigles. Connaisseur du Scarabée d’or de Poe, il est un mesure de déchiffrer le message. Il l’a récupéré au cours d’une séance de cinéma, deux spectateurs devant lui, un homme et une femme ayant communiqué par les mains en présence d’un troisième. Le bout de papier a été égaré dans la salle.
Sonomura en détective perspicace, conclut qu’un meurtre est prémédité. Les deux amis se rendent au lieu présumé où le meurtre doit avoir lieu et en voyeurs accomplis, assistent à une scène étonnante : un des deux hommes est étendu la tête sur les genoux de la femme, mort, l’autre, complice de la femme, les prend en photo. Une bassine est là, pour accueillir le mort que l’on prévoit de dissoudre dans de l’acide. La femme est belle à en éblouir aussi bien le narrateur qui décrit longuement sa brûlante délicatesse que Sonomura qui n’a qu’une obsession, la revoir et la séduire. Ce qu’il fait en dépit des risques qu’il prend à tomber dans le piège qu’elle lui tend. Envoûtement, dépendance, escroquerie, perversité, mise en scène, rythment le calvaire de Sonomura, avec un dénouement inattendu.
Avec des scènes fulgurantes comme la description détaillée de la beauté de la femme, Eiko, ou le désarroi de Sonomura sombrant dans son chemin de croix, ce petit roman est un bijou, dans lequel on retrouve le talent esthétisant de Tanizaki, sa tendance à explorer des sentiments humains extrêmes, son goût pour une certaine perversité ou dépravation de l’âme.