Le hussard sur le toit, par Jean Giono
Grand classique que je viens d’avoir le bonheur de terminer. Peut-être pas le Giono que je préfère, mais une grande fresque historique, politique et sociale du début du XIXe siècle dont le décor est bien évidemment la Provence, avec des personnages fortement structurés, moralement intègres, avec une description sublime des paysages fétiches de l’auteur, et de multiples réflexions existentielles, philosophiques, voire politiques.
Angelo Pardi, un jeune colonel des hussards, vient de quitter son Piémont natal suite à une rixe - un duel - qui s’est terminé par la mort de son adversaire, un traitre à la cause nationaliste qu’Angelo défend. Il doit s’exiler et se retrouve sur les routes de Provence, à la recherche de son ami et frère de lait, Giuseppe, exalté comme lui, installé à Manosque.
Le choléra sévit alors dans les pays qu’Angelo traverse, avec son lot de malades aussitôt emportés, ses villages dévastés, des villes interdites, des mesures d’isolement dérisoires, des quarantaines impérieuses, un affolement grandissant, et partout des morts et des mourants qu’Angelo essaie de ranimer par des massages-frottements des membres inférieurs, infructueux. Une mort le touche beaucoup, celle d’un jeune médecin contaminé pour avoir beaucoup donné de lui-même : « c’est le petit français » dont le souvenir le hantera longtemps.
Arrivé à Manosque, il s’arrête près d’une fontaine pour se rafraîchir, cependant qu’une horde d’individus l’accusent d’empoisonner l’eau. Il leur échappe et se réfugie sur les toits de la ville. Il organise sa vie en hauteur, vole dans les habitations vidées de leurs occupants en fuite, croise des morts et quête les endroits où sont cachées les victuailles. En bas, on se démène avec les malades, la mort, la panique. Avant de quitter les toits, Angelo croise une jeune femme dans son appartement qui, sans peur, lui prépare un thé.
Après une curieuse rencontre avec une nonne avec laquelle il s’occupe à soigner les mourants et préparer les morts, il se réfugie dans les collines qui entourent Manosque avec tous les habitants de la ville, et retrouve son ami Giuseppe, révolutionnaire encore plus radical que lui.
Angelo qui veut rentrer chez lui dans le Piémont, rencontre sur sa route la jeune femme qui lui avait offert un thé. Ils vont dans la même direction et cheminent ensemble. Leur voyage ne sera pas tranquille, émaillé par la crainte des soldats, l’appréhension des barrages, l’évitement des villes où des garnisons gèrent les quarantaines des gens de passage, censés répandre le mal. Les villageois ne sont pas toujours armés de bonnes intentions, cependant que certains les reçoivent avec égards. Ils surmontent de nombreux obstacles, la nature est hostile, ils ne sont pas équipés pour jouer ainsi les Robinson. Ils sont presque arrivés à destination quand un évènement les rapproche davantage encore : Pauline, la jeune femme, tombe malade. Les soins d’Angelo lui permettront de vivre et de suivre son chemin.
Lecteur, nous attendons qu’ils succombent à ce que nous percevons de sentiments forts, qu’ils « profitent » des occasions multiples qui se présentent… Mais non, leur amitié respectueuse se renforce, ils se confient l’un à l’autre, mais ne cèdent à aucune liturgie sentimentale.
Le hussard sur le toit est une histoire d’amour d’une immense élégance, Angelo hanté par la responsabilité dans sa mission qui est d’arriver à bon port, Pauline personnalité étrange et forte, fidèle à son vieil époux.
Ce roman, reflet d’une époque instable - aux alentours de 1830 - insiste sur ses travers sociaux : population désemparée, recherche de déviants, voire de boucs émissaires, peurs et manœuvres des notables, inculture, pingrerie et méchanceté des uns, égoïsme et repliement sur soi des autres, domination des uns, lâcheté et capitulation des autres. Le tréfonds corrompu, frelaté de l’homme est ainsi révélé, grossi, exhibé, devenant une métaphore apocalyptique, soulignée par un médecin érudit rencontré sur la route, pour qui le choléra ne s’abat pas par hasard sur les patients : maladie psychosomatique, comme on dirait aujourd’hui ? ou sursaut d’orgueil ? Au delà de la cause, ici questionnée, les conséquences sont une désorganisation sociale substantielle, que Giono décrit avec subtilité.
Enfin, ce roman offre une description sublime des paysages provençaux, lesquels ne sont pas de toute quiétude, avec leurs sombres forêts, leurs reliefs à franchir, collines, crêtes, vallées, les aléas du ciel, fluctuations du temps, les intrusions parfois agressives des corbeaux, tout cela constituant au final une grande œuvre poétique, écrite avec une langue parfois heurtée ou déstructurée propre à l’auteur.