Le bal des folles, par Victoria Mas

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Premier roman réussi, évoquant un épisode bien connu de l’histoire de la neuro-psychiatrie qui eut lieu à l’hôpital de la Salpêtrière à la fin du XIXe siècle, consistant en des démonstrations de malades « hystériques » sous hypnose par le Docteur Charcot, célèbre neurologue.
 

Eugénie est la fille d’un notaire parisien, un brin rebelle dans une famille bourgeoise rigide. Réalisant qu’elle peut communiquer avec les morts via leur « esprit », elle s’en confie à sa grand mère qui ébruite la chose, et le père l’amène illico à la Salpêtrière où sont internées les rebuts de la société, des malades authentiques, d’anciennes dépravées ou violées ou celles par qui le déshonneur pénètre dans les familles qui veulent dès lors s’en débarrasser.
Là, une vie parallèle s’organise, avec Thérèse une ancienne prostituée dans le service depuis vingt ans après avoir poussée son mac dans la Seine, Louise une adolescente qui a été abusée il y a trois ans, et bien d’autres. Geneviève est l’intendante des lieux (surveillante), positiviste dans l’âme, scientiste toute dévouée aux médecins, Charcot en tête.
Bien sûr, dès son arrivée dans le service, Eugénie manifeste sa résistance et se retrouve à l’isolement. Là, en présence de Geneviève, elle annonce à cette dernière, qu’elle “voit“ sa sœur Blandine, décédée il y a longtemps. Au début décontenancée, son progressisme heurté par l’obscurantisme du spiritisme, Geneviève finit par se lier à Eugénie. Cela, après avoir dû rompre avec son propre père, médecin en province, qu’elle venait secourir après un avertissement d’Eugénie qui avait « communiqué » avec sa sœur Blandine, gardienne vigilante de la famille.
Un étrange pacte naît entre les deux femmes, qui devrait permettre à Eugénie de quitter l’hôpital malgré l’avis contraire de Charcot lui-même. Cela à la faveur du « bal des folles », manifestation festive qui a lieu tous les ans à la mi-carême et qui attire le tout-Paris mondain, ravi de croiser des malades, toutes déguisées et dansant sur les rythmes d’un orchestre convoqué pour l’occasion.
La jeune femme parviendra à s’échapper, mais la complicité active de Geneviève se retournera contre elle-même, et elle basculera dans l’univers qu’elle contrôlait auparavant.
Un roman léger, prenant, bien construit, bien écrit, qui laisse pourtant une saveur un peu irréelle, éthérée, liée à ces « présences » de défunts que certains, initiés on ne sait comment (un don !), perçoivent seuls, le lecteur étant invité à suivre, à vivre ces moments isolés dans une atmosphère relevant par ailleurs du récit historique. Un récif, un écueil dans un océan qui emprunte à la science, à la médecine, à une société puritaine dont la Salpêtrière constitue une sorte de soupape de sûreté pour asociaux. Et dont le bal des folles occasionne un bel exercice de voyeurisme pour bourgeois pharisiens et mondains hypocrites en mal de sensations fortes et d’encanaillement buissonnier.

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