Prodigieuses créatures, par Tracy Chevalier

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Roman basé sur des faits réels, et s’il s’agit d’une biographie masquée, elle est dotée d’une portée historique et sociologique et d’une dimension scientifique avérée, tout en se déroulant comme un récit imaginaire.
 

Elizabeth est une des quatre sœurs Philpot, et une des trois qui sont célibataires et destinées à le rester. Elles appartiennent à la bourgeoisie anglaise du début de XIXe siècle. Elles acceptent plus ou moins leur condition de vieilles filles, et quittent Londres pour la côte sud-ouest de l’Angleterre, dans le Dorset. Elles s’installent dans la petite ville de Lyme Régis, s’intéressent pour l’une à ce que la ville produit de mondanités, pour une autre au jardin et à ses productions florales, et pour Elizabeth aux fossiles (des “curios“ dit-on dans le coin) qu’elle ramasse à la pelle sur les plages alentour : ammonites, bélemnites, griffes du diable... Elle se spécialisera plus tard dans les poissons fossiles.
Appartenant plutôt à une classe populaire, son père étant un artisan ébéniste, Mary Anning, qui ne sait alors ni lire ni écrire, a onze ans quand sa route croise celle d’Elizabeth. Mary ramasse aussi des fossiles qu’elle présente sur une table devant chez elle et qu’elle vend. Elizabeth prend Mary sous sa protection et, avec ses vingt ans de plus, devient une référence pour elle.
Un jour Mary et son frère trouvent le crâne d’un “croco“ (pour “crocodile“) figé dans la falaise et qu’il faut dégager, ainsi que le reste du corps. Exposé devant chez Mary, il est repéré par un notable du bourg qui se l’approprie moyennant quelques livres et le revend à un musée londonien. Mary s’est fait voler sa belle découverte ! Et cela lui arrivera à nouveau, en particulier avec une personne qu’elle avait fortement investie, un colonel dont elle est tombée follement amoureuse, et qui la décevra.
Mary découvre d’autres créatures du même type, qui seront identifiées comme étant des ichtyosaures puis des plésiosaures (sortes de reptiles marins apparus peu avant les dinosaures). Ces découvertes ouvrent la voie à un nouveau chapitre de la paléontologie, science balbutiante, et le célèbre naturaliste Georges Cuvier, après avoir qualifié les découvertes de Mary Anning d’imposture, finira par reconnaître son apport à la science.
Avant sa consécration, toute relative d’ailleurs, Mary ne sera jamais reconnue pour ce qu’elle est : le siècle néglige les pauvres et davantage encore les femmes.
La religion est très présente dans ce roman, Dieu, la Création, le Déluge, s’évertuent à fournir l’explication de ce que la science ne comprend pas encore. Cependant, dans un monde plus rationnel, on commence à lire la Bible non plus à la lettre, mais comme une suite de métaphores. Ainsi le monde est sûrement beaucoup plus vieux que ce que prétendent les évêques, quelques six mille ans. Les sept jours de la Création sont peut-être des années, voire des siècles. Le savoir scientifique évolue, on conçoit que des espèces ont existé puis ont disparu, que le monde est en constant bouleversement. Le terrain se prépare pour que Darwin conçoive sa théorie de l’évolution, quelques décennies plus tard.
Tracy Chevalier a écrit un beau roman, qui se lit comme tel, même si les principaux protagonistes ont réellement vécu, et que leurs actions sont respectées. Des personnages secondaires émergent, qui sont fictifs, eux. Surtout, l’auteure prête à ses sujets des sentiments, des conduites, imaginaires, et l’ambiance romanesque qui règne, est bien dominante.
Roman passionnant, foisonnant, qui marie fiction enlevée et construction originale, à deux voix, précision scientifique et rigidité socio-culturelle ambiante, finesse d’analyse psychologique et caractères déterminés des protagonistes.

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