Rien ne s'oppose à la nuit, par Delphine de Vigan

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L'enquête que mène l’auteure au sein de sa famille, tourne autour de sa mère et de son itinéraire singulier et bouleversant.

Delphine de Vigan est la fille de Lucile, et la petite-fille de Georges et Liane. La famille engendrée par ces grand-parents est grande puisqu’ils ont eu neuf enfants, dont Jean-Marc, un enfant adopté retiré à ses parents car maltraité. Les personnages les plus saillants dans le roman sont Lucile, la mère, ainsi que les grands parents de Delphine, Liane et Georges. Ce dernier est un bon vivant, un boute-en-train, extraverti, à la fois égocentrique et généreux, un œil sur sa progéniture qu’il semble aimer et protéger, un autre sur le monde, ses amis, les grandes tablées et son travail. Georges a toutefois des tendances plus obscures qui l’aimantent vers les femmes, ses filles et plus particulièrement la très jolie Lucile. Celle-ci prétend tardivement qu’il l’a violée, adolescente. Lucile vers qui tous les regards se tournent, qui fait le mannequin, enfant, pour des revues de mode, et qui paraît bien mystérieuse, souvent à l’écart, observatrice, silencieuse, voire absente.

Dans la deuxième partie du récit, Lucile se marie - elle a dix-neuf ans -, a sa première fille, Delphine, puis sa seconde, Marion, quatre ans après. Elle divorce, a des amants, tombe amoureuse, galère pour élever ses filles, puis tombe, victime d’une première poussée ”délirante”, probablement un accès maniaque dans le cadre d’un trouble bipolaire. Elle aura d’autres accès, aussi impressionnants que le premier, et sera hospitalisée et plus ou moins fortement neuroleptisée à chaque fois.

La famille de Delphine de Vigan donne l’apparence d’être unie, joyeuse, chaleureuse. Pourtant, outre la personnalité excessive du père ou celle énigmatique, fermée, de Lucile, elle est sillonnée de morts brutales et d’autant de malheur : Antonin meurt accidentellement à 6 ans, Jean-Marc se suicide à 15 ans, Milo à 28 ans et Lucile à 61 ans. Le dernier enfant, Tom, est trisomique.

Les familles nombreuses sont fascinantes, la fusion apparente du couple parental, le nombre élevé d’enfants - déjà en soi un petit miracle -,  leurs complicités, chacun avec sa personnalité, fondue dans le groupe et creusant sa coulée, sa tranchée, clamant son individualité, tout cela dessine un cadre syndromique particulier. En vérité, si toutes les familles  ou presque méritent d’être des sujets de roman, les familles nombreuses  ont l’avantage du nombre (excusez la redondance).

On a reproché à Delphine de Vigan de cultiver le dolorisme et de chercher une sorte de rédemption, voire de résilience, avec son roman. Je ne suis pas d’accord. Même si la souffrance est une constante dans la vie de Lucile et de sa fille Delphine, celle-ci a trouvé le ton, la distance et le sens : le ton qui permet de rendre vivante cette famille si excessive, la distance qui donne aux différents protagonistes le respect et la déférence auxquels chacun a droit, enfin le sens du récit pour décrire une trajectoire pathologique et néanmoins romanesque.

On peut souligner, pour nuancer la dimension romanesque, que le récit  de Delphine de Vigan, bien que bavard et souvent anecdotique, n’échappe pas à un excès de froideur apparente, à une lecture un peu trop clinique, de sa famille, de sa mère, et paradoxalement à un manque de recul, de vision analytique et synthétique. Mais c’est un récit et non  un essai, et peut-être est-ce la loi du genre quand on écrit sur ses proches, trouver la bonne distance et se garder de ce qui pourrait passer pour un jugement.

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