Le Maître des illusions, par Donna Tart

Publié le

Ne cherchez pas qui est le maître des illusions parmi les six protagonistes-étudiants du roman et leur professeur. La traduction du titre est trompeuse, et mieux vaut éviter de s’engager dans de fausses pistes.

Richard, 19 ans, est le narrateur. De Californie, il débarque à l’université de Hampden, dans le Vermont, à l’est de l’État de New-York. Il échoue dans une section de langues anciennes (grec surtout, latin aussi)) animée par un enseignant étrange, Julian Morrow, qui trie sur le volet ses étudiants, cinq en tout, six avec Richard qui insiste pour intégrer le groupe. Julian intrigue dès le début, bon copain certes, mais aussi esthète, érudit, manipulateur, doté d’un charisme sophistiqué et autoritaire, gourou aux formules atypiques : « Les choses terribles et sanglantes sont parfois les plus belles. C’est une idée très grecque. La beauté, c’est la terreur ». Dans son élitisme qu’on peut qualifier de poussiéreux, Julian est à l’image de ses élèves, et particulièrement de Henry, qui se présente comme une turbine, un cerveau qui étudie, cherche, élabore des plans, décide pour le groupe, mais qui a quelque chose de l’huître fermée sur elle-même. Les élus de la classe de Julian forment un groupe en apparence homogène, dès lors qu’il s’agit par exemple de recréer un rite païen, une bacchanale, sorte d’orgie mentale, ou de prendre la décision de tuer Bunny, un des leurs, un dilettante, un incontrôlable qui pourrait parler et divulguer un secret. Mais chacun de ces personnages est doté d’une personnalité bien campée, qui s’exprimera avec force au cours ou surtout à la fin du récit. Et là est l’intérêt premier de ce roman, finalement psychologique, plus que thriller ou histoire à suspense, ce qu’il est aussi.

Difficile de savoir si le meurtre de Bunny par ses amis - annoncé dès les premières lignes -, est l’élément central du roman ou un prétexte, un pivot autour duquel se profilent la ”paroxysmisation” des protagonistes et l’éclatement du groupe. Les jumeaux, Charles et Camilla, ont quelque chose de délicieux, lui par sa gentillesse, elle par sa sensualité naturelle, innocente, dépourvue de toute provocation, ils sont pourtant ceux par qui surviendra un drame : Camilla, amoureuse d’un membre du groupe, s’éloigne de son frère qui ne le supporte pas, se perd dans l’alcool et veut tuer son ”rival”. Des interrogations intéressantes sur la gémellité égrènent ainsi le récit.

Si l’auteur conduit son intrigue avec un brin de perversité, maniant de la séduction, ménageant un certain suspense, se délectant de provoquer attachement voire envoûtement du lecteur, il n’y a pas de cynisme, du moins manifeste, chez ces jeunes. Même Henry, le cerveau, le référent du groupe, est d’abord un intellectuel, obsédé par son grec et ses classiques, et quelque peu tourmenté, contradictoire, peu cohérent.

Fascinés par Julian, avides de connaissances et de pratiques issues de leurs savoirs, partagés entre fiction et réalité, goût pour l’intrigue et quotidien, ils mènent une existence de jeunes étudiants, mettent en sourdine amours, haines ou jalousie jusqu’à ce que les circonstances bousculent leurs approches de la vie et de l’amitié et que se révèlent le prix de l’innocence perdue et l’évidence d’un fort pessimisme de l’auteur. Les morts, la dislocation du groupe, l’amitié mise en échec, signent peut-être la volonté de l’auteur d’écrire une tragédie à l’antique. À l’américaine aussi, bien sûr !

Roman long, qui s’étale parfois inutilement ou se disperse, qui n’échappe pas à quelques invraisemblances, qui n’évite pas les clichés, Le Maître des illusions mérite tout de même son succès international.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article