Le chardonneret, par Donna Tartt

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Ce pavé de mille cent pages (format de poche) aurait gagné à être réduit de moitié. Non qu’il soit sans intérêt, ni qu’il soit mal écrit, mais justement parce que son sujet n’est pas loin d’être remarquable, il aurait pu être plus concis, moins dispersé, plus percutant.

Théo Decker, le narrateur, a treize ans quand un attentat terroriste pulvérise le musée new-yorkais qu’il visite avec sa mère. Il s’en sort, mais pas sa mère, ni un vieux monsieur agonisant qui le prend en sympathie, lui permettant de retrouver sa trace en lui remettant un bague qu’il porte au doigt et en lui indiquant un petit tableau d’un peintre flamand, Fabritius, représentant un chardonneret tout à fait remarquable de vie. Théo sort du musée en emportant le chef d’œuvre.
Désormais orphelin de mère, sans père - ce dernier, acteur raté, alcoolique accompli, est parti il y a un an sans laisser d’adresse - Théo est accueilli par la famille d’un ami, Andy. Curieux, sur les indications de la bague, il se rend dans l’atelier de restauration de meubles anciens que tient Hobie dans le bas Manhattan. Hobie était l’associé du vieux monsieur décédé dans le musée. Il s’occupe de la petite-fille de ce dernier, la rousse Pippa, gravement blessée dans l’explosion. Pippa comptera beaucoup pour Théo. Hobie devient un ami et un protecteur pour Théo, qui aurait tendance à partir à la dérive. Jusqu’à ce que son père refasse surface et l’amène avec lui à Las Vegas où il a refait sa vie, à force de jeu et de paris sportifs, épaulé par sa nouvelle femme. Là, Théo rencontre Boris, un ado encore plus déboussolé que lui, qui devient son âme damnée, son double en mauvais coups, en beuveries, en défonces, en recherche d’artifices en tous genres.
Criblé de dettes, le père replonge dans l’alcool et meurt au volant de sa voiture. Théo retourne alors à New-York chez Hobie, qu’il seconde tout en s’imprégnant du métier de restaurateur de vieux meubles. Le temps passe, Théo devient un homme, trouve sa place dans la boutique, celle que n’occupe pas Hobie, artisan avant tout. Théo est plutôt un bon vendeur. Repris par ses mauvais penchants, il vend des meubles restaurés (avec beaucoup de brio, certes !) pour d’authentiques et intègres originaux.
Tout cela tourne mal, un amateur repère ses escroqueries et établit sa possession du tableau, et il se laisse entraîner à Amsterdam par Boris qui lui avoue lui avoir volé le tableau, devenu une sorte de monnaie d’échange dans les milieux du banditisme international. Après des bagarres et deux morts, le tableau sera récupéré et remis aux autorités néerlandaises.
Ainsi racontée, l’intrigue du roman semble étoffée, mais sans grand relief. Ce qui l’enrichit, et souvent l’alourdit, ce sont les multiples péripéties qui l’émaillent, les très nombreux développements, par exemple sur les techniques de travail du meuble, sur les préparatifs du mariage de Théo, sur les circonstances de la mort d’Andy et de son père sur le bateau racontées par Platt, ce sont les états d’âme des protagonistes, de Théo avant tout, les références romanesques et artistiques, enfin les digressions métaphysiques sur d’infinis sujets, la peinture, la beauté, le Mal, la Mort, la création. A ce titre il est intéressant de mettre en parallèle l’enchainement de l’oiseau dans le tableau et l’enchainement des êtres dans la vie, leur solitude, ainsi que la lumière que le plumage du chardonneret dégage et celle que produisent certains des personnages du roman, la mère de Théo, Hobie, Pippa, enfin le dialogue au delà du temps que permettent un peintre marginal du XVIIe siècle et un jeune homme un peu paumé du XXIe. 
Tout cela s’étend avec plus ou moins d’utilité, et laisse une impression d’éparpillement. Ce luxe de détails se répand parfois au dépens de l’émotion que pourrait dégager le parcours tumultueux, erratique, douloureux, du narrateur. Le cheminement de Théo, entre dérive existentielle, fort penchant pour l’autodestruction, attirance pour le risque, erreur de choix sentimental, nous montre que pour l’auteure, il est des événements dont on ne se remet pas - l’explosion au musée, la mort de la mère de Théo. De même, il est des croisements où le Bien et le Mal se rencontrent sans se différencier, des milieux sociaux - les Barbour, le père de Théo et sa compagne, Hobie et ses rêves, Boris et ses acolytes douteux - milieux où Théo navigue de rupture en rupture, entre réel et sordide, entre illusions et absence de repères, entre mal-vie et malbouffe à Las Vegas, et chaleur et pot-au-feu chez Hobie, entre froid constat des faits et erreurs à payer ou persévérance dans la recherche d’une vie digne.
Donna Tartt manipule ces concepts avec une certaine virtuosité, mais, hélas, nous perd en chemin trop souvent.
 

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