L'amour et les forêts, Éric Reinhardt

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Attention, ce roman est un monument, il a en effet quelque chose d’écrasant. Plus exactement c’est un livre qui fait impression au point de ressentir physiquement une véritable oppression en le lisant, voilà ce qu’on peut dire sans exagérer.

L’auteur avoue lui-même dans un article de Télérama qu’il veut produire une sensation d’asphyxie chez le lecteur, et c’est vrai que par moments on étouffe dans ce roman, un roman puissant, fort de son écriture, de sa manière d’enchaîner des phrases en nombre et allant crescendo, de produire des images qui illustrent un personnage, une situation, qui s’enrichissent au fur et à mesure de leur énonciation, au niveau de leur sens, de leur atrocité, parfois d’une espérance. Des phrases et des images qui blessent souvent et sont faites pour tuer parfois.

Bénédicte Ombredanne, l’héroïne, se confie au narrateur, Éric Reinhardt lui-même, après avoir loué son dernier roman, qui semble avoir transformé son existence. Cette jeune femme cultivée - professeur agrégée de français, passionnée de littérature symboliste du XIXe, Villiers de l’Isle-Adam, Mallarmé, Maeterlinck…) -, sensible, fragile, idéaliste, portée par l’espoir d’une vie réussie, baigne dans une relation de couple à la fois aride et cauchemardesque. Son mari la méprise et la harcèle, lui demandant des comptes sur tout ce qu’elle fait ou dépense, la couvrant de reproches, la privant de téléphone, montant ses enfants contre elle. Odieux, mais aussi minable, complexé, asocial, malheureux, maladivement jaloux. Si l’auteur force parfois un peu le trait, le personnage, extrême, reste cohérent.

Bénédicte se révolte, se connecte sur un site de rencontres, et passe une merveilleuse après-midi avec un homme bienveillant. Bénédicte est, à ce moment, heureuse, épanouie, vengée. Son mari n’est pas dupe, et devant sa vindicte, son insistance de tous les instants, elle finit par tout avouer : il veut des détails qu’il ressasse, et les pages qui ont pu être savoureuses au moment de l’idylle adultérine, deviennent là oppressantes. Le cauchemar va jusqu’à son terme, particulièrement sombre.

La révolte de Bénédicte n’aura duré qu’un temps, sa culpabilité, son esprit de soumission, sa dépendance et sa crainte de voler de ses propres ailes ne lui permettront pas de relever la tête. L’auteur nous donne quelques pistes pour comprendre, issues du passé de son héroïne. Bénédicte Ombredanne exprime la volonté d’émancipation d’une Emma Bovary de notre époque, et prend le chemin de l’héroïne de Flaubert, celui du renoncement, d’un renoncement qui voudrait flamboyer dans un foyer que son mari, ses enfants, s’emploient à éteindre. Bien sûr, un renoncement qui s’exprime différemment chez Bénédicte et chez Emma.

Un livre lumineux et sombre à la fois.

Citations pages 175, 291.

• Tu le savais, que vous feriez l’amour, quand vous êtes arrivés dans la chambre, ou tu avais encore des doutes ? J’ai besoin de savoir, c’est la seule voie possible pour me défaire de cette douleur, de ces attaques perpétuelles de mes angoisses. Bénédicte, j’en ai besoin, il me faut savoir ce qui s’est passé exactement, j’y ai droit […] Dis, Bénédicte, quand tu as retiré son pantalon, il bandait déjà, ou pas ? […] Et toi, tu mouillais déjà ? […] C’est à ce moment-là que tu as pris son sexe entre tes lèvres ? […] Non je n’arrête pas : il aurait fallu penser plus tôt aux conséquences de tes actes. Comment veux-tu que je m’en sorte, moi ?

• C’est un drôle de mélange, Bénédicte. Je ne sais pas si vous avez perçu chez elle cet alliage d’orgueil et de soumission, d’ambition et de terreur, de richesse intérieure et de doutes sur elle-même, de ferveur et de résignation, d’audace et de repli sur soi, de narcissisme et de dévouement.

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