Le ghetto intérieur, par Santiago H. Amigorena

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Ce roman traite de la culpabilité d’un immigrant juif en Argentine, ayant fui l’Europe rongée par l’antisémitisme, et ayant laissé sa mère à Varsovie au moment de l’élaboration de la solution finale.
 

On est en septembre 1940, à Buenos Aires, où il pleut, tandis qu’en Europe, la guerre fait rage. Avant l’actuelle bataille d’Angleterre, il y a eu l’invasion de la Pologne et d’autres pays par l’Allemagne nazie. Le front de l’est, c’est après la rupture du pacte germano-soviétique, en 1941.
Vicente Rosenberg est arrivé en Argentine en1928. Bien sûr, il fuyait l’antisémitisme de plus en plus oppressant en Europe, en Pologne plus particulièrement, mais il voulait aussi marquer la distance d’avec son milieu, sa mère en particulier. Ses amis, Ariel, polonais et Sammy, russe, ont eu des parcours semblables. Eux ont fait venir leur famille, Vicente ne l’a pas fait. Son humeur dépend des nouvelles qu’il reçoit de Varsovie et des lettres que lui envoie sa mère. La dernière date de trois mois.
Vicente a fondé une famille, sa femme, Rosita, et lui ont deux petites filles et un tout petit garçon, et Vicente a repris le magasin de meubles que lui a laissé son beau-père.
Vicente a un problème identitaire : est-il Argentin ? Polonais ? Juif ?         Lui qui a combattu dans l’Armée du Maréchal Pilsudski qui a «libéré» la Pologne, il devrait se sentir patriote, mais ce n’est pas si simple. En fait, il a vénéré la culture allemande, mais ne peut plus que détester ce peuple. Et maintenant, il se sent devenir de plus en plus juif, ce qui est presque nouveau pour lui qui n’a pas la foi.
Il apprend que les Allemands enferment les Juifs dans des ghettos, dans plusieurs villes polonaises ; à Varsovie, ils construisent un mur pour les cerner : quatre cent mille Juifs vont s’entasser dans quatre pour cent de sa superficie. Cet assassinat par famine dans les ghettos, s’ajoute aux fusillades en masse, et à l’élaboration de la solution finale par Hitler conçue fin 1941. Les convois pour les camps d’extermination vont bientôt suivre…
Le monde ne sait pas encore cela, et Vicente, alarmé par les lettres de sa mère qui font état de l’extrême difficulté à vivre, à se nourrir dans le ghetto, n’a pas besoin d’en savoir plus pour comprendre.
En fait , il est ravagé par la culpabilité : n’ayant pu convaincre sa mère et son frère de le retrouver en Argentine, il imagine leur détresse et ne peut que constater son impuissance à agir.
Peu à peu, Vicente s’informe, plus ou moins contre sa volonté qui serait de « ne pas savoir ». Peu à peu, il prend conscience de ce que la mécanique nazie confectionne pour les Juifs : les affamer dans les ghettos, les tuer par balles ou explosifs dans les villages, les enfermer dans des camps d’extermination. Il devine le drame que doivent vivre les siens, se persuade qu’il ne les reverra probablement jamais et s’emmure dans le silence, un geste que ne peuvent comprendre sa femme, ses enfants, ses amis.
On apprend à la fin du roman que l’auteur du roman est le petit-fils de Vicente et Rosita.
Ce texte, qui manie à la fois la vie de Vicente à Buenos Aires et des faits historiques qui paraissent bien documentés, s’avale facilement, causant intérêt et émotion, brûlant, écorchant, secouant le lecteur. Son écriture ne révèle aucune sophistication, aucune fioriture. Relativement simple, elle a un impact direct, net, presque âpre.
La réalité historique de la Shoah ne se confond pas avec le vécu intime, personnel du drame quand il a lieu. Ces deux notions, valides l’une comme l’autre, co-existent dans ce roman, mais elles sont juxtaposées, ne se mêlent pas vraiment. La question de la Shoah est ainsi double, historique et inscrite dans la chair des personnes concernées. L’une survivra, l’autre s’éteindra progressivement avec la disparition des témoins. Un problème peut tarauder les esprits : parle-t-on trop ou pas assez, ou encore mal, de ce phénomène si unique ? Personnellement, je n‘ai pas de réponse.

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