Quatrevingt-treize, par Victor Hugo

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Roman flamboyant ! Pourquoi ne met-on pas Victor Hugo dans le lot des auteurs phares du XIXe siècle, les Balzac, Stendhal, Flaubert, Maupassant ? Pourquoi est-il à part ? Probablement est-il considéré comme un poète avant tout. Non que je considère la poésie comme un art mineur, mais pour moi, Victor Hugo est un immense romancier.
 

Quatrevingt-treize est un lieu et un moment de l’histoire de la Révolution française. Un lieu, la Vendée et sa révolte royaliste contre la République à peine née, révolte essentiellement animée par des paysans. Un moment, la terrible année 1793, summum de la Terreur inspirée par Robespierre, Marat, Danton et d’autres.
Ces trois-là se retrouvent un jour à la Convention et montrent leurs dissensions, pour ne pas dire leurs hostilités, Robespierre préoccupé par l’absence d’unité du pays et surtout par la menace de la chouannerie, Danton inquiet de la porosité des frontières et des risques d’invasion de la France par les Prussiens, et surtout Marat, partisan d’un pouvoir fort, carrément dictatorial, personnage hargneux, vipérin, agressif. Fiel, révélations mesquines, accusations, rien n’est épargné dans ce dialogue à trois, parfois drôle, sinon grotesque.
Les personnages du roman sont d’un côté le vieux marquis de Lantenac, royaliste dur, voire féroce, reconnu comme chef de la chouannerie. C’est un personnage impitoyable, un tueur, convaincu de la supériorité de la Royauté, qui cependant n’hésitera pas, loin dans le roman, à s’exposer à ses ennemis et à se jeter dans les flammes pour sauver trois petits enfants qu’il avait pourtant pris comme otages. Un tueur humain, donc ! Du côté des républicains, Cimourdain, ancien prêtre, devenu républicain tendance dure, austère, légaliste, à la poursuite d’un idéal de justice impitoyable, et d’ailleurs mandaté par le Comité de Salut Public pour prendre la tête de la lutte contre les Chouans. Gauvin, jeune vicomte, commandant militaire de la division, issu de la noblesse puis passé au peuple, et qui doit précisément son évolution progressiste à Cimourdain qui a été plus que son précepteur, son père spirituel, son guide et lui a transmis son idéal républicain. Ce qui n’empêche qu’il a eu son évolution propre, avec un caractère bien plus ouvert, clément, tolérant, indulgent que son “maitre“. Notons, parce que les choses ne sont jamais simples, que le vicomte Gauvin est le petit-neveu du marquis Lantenac.
Gauvin reste tout de même un chef militaire d’une grande pugnacité et efficacité. Il l’a prouvé sur d’autres théâtres de combat. Il réussira, avec sa division de 4 500 hommes, et dans un combat épique, à expulser les 19 hommes retranchés dans la Tourgue, une tour bâtie en contrebas d’un plateau, à l’orée de la forêt de Fougères. Bien armés, dans une position avantageuse, ces derniers pouvaient faire des dégâts considérables, ayant comme ressource ultime de mettre le feu à la citadelle avant de s’évader, laissant des otages dans les flammes en la personne de trois petits enfants. Trois enfants que cherche désespérément leur mère dans le bocage, cette femme étant un autre personnage, épique, du roman. Perdant tout de même une douzaine d’hommes, les Chouans et leur chef Lantenac réussiront leur plan de fuite. Lantenac reviendra sauver les enfants, on l’a vu, sera pris, et profitera de la clémence de Gauvin. Le dénouement tragique ne sera pas dévoilé.
Ce livre sublime est finalement assez complexe dans sa composition : l’intrigue est continue, peut-être interrompue par le long passage à la Convention, qui donne tout de même le ton du moment révolutionnaire, les personnages sont présentés à mesure de leur apparition avec beaucoup de précision, l’histoire progresse contre bien des contraintes littéraires, dont les descriptions, ce dont Hugo ne nous fait pas grâce !
Le but recherché peut poser question : s’agit-il d’un récit historique, d’un moment particulier de la Révolution ou d’une suite d’interrogations, de réflexions, de spéculations sur la nature humaine, sur la conscience personnelle intime, sur la position et la conformité de chacun par rapport à ses valeurs, à sa force d’âme, à ses actions. Là, dans ses présentations, Victor Hugo est admirable et certains passages sont admirables.
Parmi ces passages, un est plus politique, et peut refléter les idées de l’auteur : c’est la rêverie de Gauvin, inspirée d’une utopie révolutionnaire, mais ouverte, humaine, centrée sur l’individu, son épanouissement, son harmonie avec la nature, sa liberté, rejetant tout bureaucratisme, toute autorité malveillante.
Cette belle fresque historique avec ses batailles sans merci, ses personnages souvent poignants, parfois inflexibles, d’une grande épaisseur toujours, même secondaires, nous montre un Victor Hugo non seulement poète et romancier, mais encore penseur, et penseur de tous les instants : à chaque page, Hugo énonce avec grâce et opportunité des réflexions, des maximes, des évidences, des proclamations, voire de véritables harangues.
Un style unique et très personnel.

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