Femme nue jouant Chopin, par Louise Erdrich

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Ce recueil de nouvelles s’il se laisse lire avec facilité ou gourmandise par les amateurs du genre, s’il traite de sujets variés avec intelligence, subtilité, finesse, et emmène le lecteur dans des mondes nappés d’authenticité en même temps que souvent inconnus de lui, ce recueil donc est de commentaire difficile du fait de son éparpillement.
 

Il faut trouver alors une unité, une spécificité à ces histoires, qui, nous dit l’auteure, ont été écrites à des périodes éloignées les unes des autres. Certaines de ces nouvelles mettent en scène des indiens ojibwé et des réserves dans le Dakota du Nord ou ailleurs. Ces personnages sont à première vue intégrés dans l’American way of life, même s’ils vivent un peu à part et gardent en eux des manières de penser spécifiques, des souvenirs propres et des pratiques traditionnelles. On peut aussi  évoquer une grande sensualité chez Louise Erdrich, aussi bien quand elle décrit des paysages que des sentiments humains, aussi bien dans le fond que dans la forme, dans le style, dans le rythme, dans un sens du détail, de l’exactitude, de la beauté aussi, enfin dans l’intelligence et la finesse de la phrase.
Illustrons par l’exemple, non pas au hasard bien sûr, deux nouvelles qui m’ont marqué.
La femme du boucher est le titre d’une nouvelle relatant l’amitié entre Delphine, femme d’origine polonaise qui vit avec son père, un alcoolique coriace et Eva, la femme du boucher, un couple allemand. La seconde, qui noue avec la première une relation amicale, forte d’emblée, plus que de subordination, même si elle l’embauche au magasin, devient un sujet d’admiration, un modèle, un exemple de réussite, de maîtrise de soi, d’équilibre, qui pourtant succombera à la souffrance quand la maladie la terrassera.
Cette nouvelle apparaît comme une succession d’évènements, de faits,  d’anecdotes, bien plus qu’une exposition ou une analyse de sentiments, et pourtant apparaissent en filigrane, en permanence, les manifestations tacites d’une amitié sincère et profonde.
Dans une autre nouvelle puisée dans le monde indien à différentes époques, titrée Le châle, Aanakwad, mariée à un homme qu’elle n’aime pas, et dont elle a deux enfants, une fille de neuf ans et un garçon de cinq ans, est amoureuse d’un homme qui vit de l’autre côté du lac, et qui lui a donné un troisième enfant. À la naissance de ce bébé, elle part avec l’oncle de son amant pour retrouver ce dernier, et prend avec son elle son bébé et sa fille, cette dernière toujours enveloppée dans un châle écossais dont elle ne sépare pas. Le garçon veut être de l’équipée et suit le chariot, mais des loups s’en approchent, affamés. Le père qui pressent alors un malheur ramène le garçon à la maison, et va sur les traces du chariot. Il voit des restes humains et le châle… Branchée sur cette nouvelle, l’histoire d’un homme, toujours saoul, veuf, trois enfants, peut-être victime des bouleversements qu’ont subis les Indiens de la part du gouvernement. Un jour que son aîné, habitué à être battu, se retourne contre son père, celui-ci qui, dans la rixe, tente de protéger un morceau de châle écossais vieilli, dit à son fils : « Sais-tu que j’avais une sœur ? » et raconte la fuite de sa mère et la mort de sa sœur aînée, sacrifiée par sa mère pour éloigner les loups. Dans un élan moraliste et se fondant sur les qualités de bonté et d’altruisme caractérisant étrangement le peuple de leur tribu, le fils émet l’hypothèse du sacrifice de sa personne par la sœur. C’est très fort.

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