Cris, par Laurent Gaudé

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Poème polyphonique en prose et boue des tranchées sur la Grande, la Première, la plus meurtrière des guerres mondiales.

Un régiment, une tranchée, des soldats et leur lieutenant, un médecin dans son infirmerie, des relèves périodiques, des tirs de part et d’autre. Il fait froid, on patauge dans la boue, on attaque, on se replie, on tombe sous les balles, on se meurt, gazé, oublié dans un trou d’obus, on reçoit un éclat de projectile, on perd ses amis, on attend son tour. Parfois, on a la chance de partir en permission, et on rêve de Paris, de soûleries et de filles, Jules dans le train n’oublie pas la guerre pour autant. Et puis, il y a cet homme qui pousse des cris, qui n’appartient à aucun camp, un entre-deux, on l’appelle l’homme-cochon, insaisissable, hirsute, il sort tout droit de la préhistoire ; deux soldats se lancent à la poursuite, sans savoir ce qui les attend… L’homme-cochon symbolise-t-il la barbarie de la guerre?

Laurent Gaudé met les mains dans la boue des trachées avec ce récit poignant, haletant, baignant dans une mare d’angoisses et de mort, où personne n’a envie d’être un héros, juste envie de ne pas mourir à vingt ans.

Polyphonique, disait-on : les voix de ce chœur sont celles de Jules, Marius, Boris, Barboni, M’Bossolo et d’autres, des voix justes, simples, d’hommes qui ont peur de ce que les attend, peur d’avoir mal et d’être amenés à crier, seuls, blessés, abandonnés, des voix qui résonnent comme autant d’échos à des voix profondes, oui, c’est ça, des voix qui naissent dans le cerveau archaïque, reptilien, qui n’ont pas le temps de s’alambiquer, de juger, de penser, qui disent ce qui «passe par la tête» et ce qu’on va faire maintenant. Ces voix qui ne sont pas littéraires, prennent tout de même un tour mélodieux, rythmé, elles se conjuguent au présent et jouent de la répétition, manière Gaudé, qui nous fait pénétrer dans le corps et l’âme de ces poilus.

Un livre court, fort, qui, devant ces hordes de jeunes gens décimés ou rendus fous, ne parvient pas à apprivoiser la peur de la mort, la hantise de la souffrance et, dans un registre second, la barbarie de la guerre.

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