C'est vous qui voyez, Docteur, par Jean-Marc Geidel

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Voilà un livre drôle et intelligent. Édifiant et bien construit. Qui fait rire et réfléchir.

Les docteurs Forget et Mory se sont installés vers la fin des années 70 en banlieue parisienne, pour faire de la médecine générale, du social, de l’éducation sanitaire. Dans un souci de cogestion de la santé de chacun, ils souhaitaient mettre le patient au cœur de la démarche en la centrant sur l’écoute, et avec l’intention de faire du sujet un expert dans son domaine : n’est-ce pas ainsi que les malades du sida ont fait avancer les connaissances et progresser leur prise en charge ?

Ces deux militants dévoilent au fil des années leurs différences : Mory conjugue médecine scientifique et pratique relationnelle, et joue de son charme avec ses patients(tes). Forget, s’il n’est pas un dilettante, a pris beaucoup de distance par rapport à sa pratique, même s’il donne souvent l’impression de céder aux multiples demandes de ses patients. Pas par faiblesse, mais parce qu’il fait de la décision partagée le point fort de sa démarche thérapeutique. Le patient et le médecin nouent une alliance singulière, jouent de concert, deviennent de véritables co-thérapeutes. Chacun d’eux a un savoir propre que l’autre ignore. La mise en commun de ces savoirs débouche sur une alliance thérapeutique, dont un pilier central, le doute, laisse ouverte la décision : autour d’un socle de 10 % médecine scientifique, rationnelle, efficiente, il y a pour Forget 90 % de relationnel, de communication, d’examens et de prescriptions médicamenteuses excessives.

On peut évoquer le docteur Knock à sa lecture pour la discussion sur la médecine qu’il inspire et pour son humour, mais ce serait plutôt en contrepoint, comme figure grimaçante ou menaçante : en effet, les protagonistes de cette histoire ne se situent pas dans le cynisme et le mercantilisme de Knock qu’ils dénonceraient plutôt fermement, d’autre part, sans nier le génie précurseur du célèbre héros de Jules Romain et son sens de la formule, (« Tout bien portant est un malade qui s’ignore »), l’auteur pourrait inverser la devise (« Tout malade est un bien portant qui s’ignore »), tant sa confiance se situe dans les ressources de l’individu bien plus que dans celles de la médecine. S'il y a une filiation totale entre l'inspiration géniale de Jules Romain et l'emprise médicale envahissante que l'on peut dénoncer aujourd'hui, J-M Geidel dessine plutôt une vision de la pratique médicale qui pourrait être celle de demain, où le malade devient sujet, où le médecin généraliste prend un rôle central et coordonne les soins. Il y a ainsi un angle d'attaque différent, voire opposé, sur une même réalité.

Il reste l’humour, très présent, toujours bienveillant : si l’on rit, c’est de ces personnages qui expriment dans la salle d’attente leurs préférences partisanes pour tel médecin ou s’amusent à dénigrer tel autre, ou encore de situations burlesques comme cette quête désespérée de successeurs pour ces médecins qui voudraient partir à la retraite après trente cinq d’engagement professionnel fort. Ceux-ci confieront-ils leur cabinet à ces jeunes médecins improbables, loufoques, inconstants, inadéquats ? Parfois le risque est plus subtil, plus grave, quand la médecine s’empare de soi ou qu’on court pour lui échapper.

Jean-Marc Geidel revisite dans son ouvrage la vie du cabinet médical où il a lui-même exercé, il le fait tout comme il auscultait ses patients : entre savoirs, curiosité, doutes et empathie. Pour lui, la médecine ne peut s’appliquer qu’avec un esprit critique, en particulier au moment de rédiger l’ordonnance, si ordonnance il y a. Le médicament est en effet l’objet d’une double méfiance : présence excessive des labos dans leur promotion, dans les informations diffusées, et prise en compte de l’effet placebo qui existe dans tous les produits, et dépasse souvent l‘effet propre de la molécule.

Par delà la réflexion sur la médecine praticienne d’aujourd’hui qu’intime la lecture de ce roman, ce vaste tour d’horizon de la vie d’un cabinet multiplie les occasions d’anecdotes comiques, parfois subtiles, parfois burlesques. Drôle jusqu’à l’exergue du livre : « Au malade inconnu, la médecine reconnaissante ».

Aux Éditions Publibook.

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